Le Tribunal fédéral tranche une question inédite : il n’y a pas de blanchiment d’argent en Suisse si les valeurs ne sont pas confiscables à l’étranger
Dans un arrêt aux considérants approfondis du 6 août 2019, destiné à la publication au recueil des ATF et sur lequel nous aurons l’occasion de revenir, le Tribunal fédéral a tranché, en particulier, une question inédite en matière de blanchiment d’argent selon l’art. 305bis CP. Cette question est celle de savoir si la caractère confiscable, selon le droit étranger, de valeurs patrimoniales en lien avec une infraction commise à l’étranger est ou non une condition à la réalisation, en Suisse, de l’infraction de blanchiment.
Dans l’espèce soumise au Tribunal fédéral, les valeurs patrimoniales en cause, se trouvant en Suisse, étaient le produit d’infractions commises en Allemagne. Ces valeurs n’étaient pas confiscables en Suisse en qualité de produit de ces infractions, faute de compétence territoriale suisse pour connaître desdites infractions, cela en application d’une jurisprudence bien connue du Tribunal fédéral (ATF 128 IV 145). Or, les tribunaux allemands compétents, avaient jugé que les valeurs patrimoniales en lien avec ces infractions, avérées, n’étaient pas confiscables selon le droit allemand. La question se posait dès lors de savoir si ces valeurs patrimoniales pouvaient néanmoins avoir été blanchies en Suisse aux termes de l’art. 305bis CP.
Le Tribunal fédéral rappelle tout d’abord que le caractère confiscable des valeurs patrimoniales litigieuses constitue un « normatives Tatbestandelement » de l’infraction de blanchiment d’argent. En effet, le blanchiment d’argent est conçu, en Suisse, comme un acte d’entrave à la confiscation, soit un acte qui porte atteinte à l’intérêt de l’Etat à confisquer les valeurs patrimoniales en lien avec une infraction. Dès lors, là où la confiscation n’est pas possible, par exemple parce qu’elle est prescrite, il ne saurait non plus y avoir d’infraction de blanchiment (c. 3.2).
Lorsque l’infraction dont les valeurs patrimoniales litigieuses sont issues a été commise à l’étranger, un blanchiment d’argent selon le droit suisse est possible aux termes de l’art. 305bis al. 3 CP dès lors que l’infraction en amont se qualifie en Suisse comme un crime. Il n’est pas nécessaire que l’ordre juridique étranger connaisse une infraction identique ou similaire au blanchiment (c. 3.3).
En revanche, lorsque le droit de l’Etat de commission de l’infraction ne permet pas, au moment des actes, qualifiables d’entrave, commis en Suisse, la confiscation des valeurs patrimoniales liées à l’infraction commise (peu important à cet égard qu’une procédure concrète de confiscation ait ou non été ouverte, seule comptant la possibilité abstraite d’une confiscation), alors il manque un élément nécessaire à la réalisation, en Suisse, de l’infraction de blanchiment, puisque les intérêts de l’Etat (en l’occurrence étranger) à cette confiscation ne peuvent pas avoir été compromis par les actes d’entrave (c. 4.4).
Le Tribunal fédéral ajoute à cet égard que seuls les intérêts publics de l’Etat à la confiscation doivent être pris en compte et non l’intérêt privé des lésés à une indemnisation qui pourrait être facilitée par la disponibilité des valeurs patrimoniales en lien avec l’infraction. Certes, le blanchiment d’argent protège également les intérêts des lésés à être indemnisés, mais cette protection n’est qu’indirecte, intervenant au travers de la protection de l’intérêt étatique à la confiscation (c. 4.5.1).
Proposition de citation : Alain Macaluso, Le Tribunal fédéral tranche une question inédite : il n’y a pas de blanchiment d’argent en Suisse si les valeurs ne sont pas confiscables à l’étranger in www.droitpenaldesaffaires.ch, du 22 août 2019.